Chason, le frère invisible

Je viens ici même de Los Angeles, je ne sais pas vraiment pourquoi j’y suis encore aujourd’hui, j’y suis peut-être attaché, mais je ne comprends pas vraiment pourquoi. J’ai une grande famille, nous sommes six enfants et je suis le petit dernier. Un accident, comme on aimait à me le rappeler.  Généralement le petit dernier, c'est le préféré, du moins ça a toujours été le cas dans les autres familles. Personnellement, j'étais plutôt un fardeau. Quand je suis né, mes plus grands frères étaient déjà fort grands, le premier était même déjà parti et mes autres n'en avait pas grand-chose à faire de moi. Je me suis toujours senti à part, jaloux de l’attention que les autres pouvaient avoir comparé à moi. Alors, j'étais un petit garçon agressif, colérique, têtu. J’avais aussi des périodes de mutisme plus ou moins longues, je refusais de parler à qui que ce soit. On n'a jamais pris le temps de me faire voir un pédopsychiatre. Je suis donc resté dans mon mal-être. L’adolescence n’a pas été mieux, l’école, je n’y arrivais pas du tout. Je suis dyslexique en réalité, mais ça n’a jamais été diagnostiqué, on me prenait juste pour un débile qui ne faisait pas d’efforts. C’est souvent revenu dans la bouche de mes professeurs alors c’était la vérité non ? J’ai arrêté d’essayer, de toute façon personne ne croyait en moi. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c'est le guet-apens que ma fratrie m’a fait un soir. Apparemment, ils avaient trouvé ma mère en pleure à cause de mon comportement plus tôt dans la journée, ça ne leur a pas plu et ils voulaient que je change, que je fasse des efforts. Je n'avais pas de conseils à recevoir, encore moins d’eux. Je les détestais autant que je pouvais les aimer. Ils avaient réussi eux, les parents en étaient fiers, moins j’étais plutôt l’enfant qu’on cache. Je ne devais plus être un fardeau ? Parfait, après notre dispute, j'ai fait mon sac et je suis parti.

Je me suis démerdé un temps à dormir chez des potes. C’est d’ailleurs comme ça que je me suis retrouvé dans des plans foireux. Un casse d’une bijouterie, j’étais juste conducteur je ne pensais pas encourir une peine trop lourde et pourtant je me suis quand même retrouvé en prison. J’y suis resté quelques mois, libéré pour bonne conduite. Une fois dehors, je me suis débrouillé comme j’ai pu. Heureusement j’ai rapidement trouvé un job dans un bar, ce n’était pas sûr bien payer, mais au moins, je gagnais un peu d’argent et j’avais même une petite chambre au-dessus du bar à disposition. J’ai vite compris que j’avais tapé dans l’œil du proprio. Je ne sais pas si j’ai toujours su être gay, mais en tout cas j’ai toujours occulté cette partie de moi, je ne voulais pas l’être, j’ai même eu des comportements très homophobes par le passé. Un soir il est cependant venu dans ma chambre et il m’a sauté dessus. Je dois dire que ça n’était pas déplaisant finalement alors je lui ai donné ce qu’il voulait. Ca a fonctionné pendant un temps avec lui, j’ai mis longtemps à assumer publiquement ce que j’étais. Cameron a fini par me demander de venir chez lui, c’était quand même plus confortable que ma chambre actuelle. Ça a duré un temps jusqu’à ce qu’un soir je rentre et trouve mes affaires dans un sac. Il s’ennuyait avec moi, il avait envie d’autre chose alors il m’a demandé de partir, de trouver un autre job. J’avoue ne pas avoir compris, je lui ai demandé au moins de me laisser le temps de trouver tout ça, qu’il me laisse au moins ma nouvelle chambre, mais il m’avait déjà remplacer. J’avais été simplement remplacé.

Je me suis donc retrouvé à la rue. Avec le reste de mon argent, j'ai passé deux nuits à l’hôtel puis je n’avais plus les moyens. Je me suis trouvé un pont au départ, mais des dealers ont fini par en faire leur point de vente, alors je suis parti. Un mois après mon arrivée dans la rue, j'ai rejoint un camp de sdf. J’aurais mieux fait de me casser une jambe à ce moment-là.. Il y avait des gens pas très nets dans le lot et un soir où nous étions très peu au camp, en pleine nuit, j'ai senti quelqu’un venir se coller dans mon dos et j’ai entendu un “Si tu cries ou te débat, je te jure que je te saigne.” Au vu du couteau sous ma gorge, il ne rigolait pas. De toute façon, je n’ai même pas eu le réflexe de me défendre, j’avais bien trop peur. La minute d’après, il avait baissé mon pantalon et m’a pris avec violence pendant plusieurs minutes que j’ai cru interminables.. Je me souviens de la douleur, de sa respiration dans mon cou, de la lame coupant légèrement ma peau à cause de ses mouvements. Puis il est parti et je suis resté là sans bouger pendant un long moment. Le pire dans tout ça ? Je me suis toujours dit que je ne méritais pas mieux de toute façon. J’ai repris le cours de ma vie comme ci de rien était, j’ai trouvé une maison abandonnée ou j’ai installé mon squat. Elle est complétement fermée, les fenêtres sont fermées par de grandes planches en bois et le seul moyen d’entrée c’est un passage par le sous-sol. J’y suis tranquille depuis deux semaines, mais je ne sais pas combien de temps, ce sera encore le cas. J’essaie de faire quelques boulots, mais c’est difficile de trouver, je fais ce que je peux alors quand je vois la vie de certains de mes frères.. L’un est mondialement connu, une vraie star. Un autre a sa petite vie de famille, ils sont heureux, épanoui. C’est injuste. Pourquoi je ne peux pas prétendre à un peu de bonheur ? Je demande simplement à vivre dans la simplicité.